« Alors, elle s’avance, et regardant crânement le curé qui pleure de rire, elle avale l’hostie, soumise à son destin qui est, elle le sait, de mourir dès que le Corps du Christ aura fondu dans sa bouche (…). Mais rien ne se passe, elle est toujours en vie, Dieu ne l’a pas foudroyée, le diable ne l’a pas emportée. « 

 

Je suis toujours à la correction de mon histoire et, ouf, j’ai fait un peu plus de 44 000 mots (paraît que c’est comme ça qu’on calcule le poids d’un bouquin 😁 ) Je vous mets une petite capture d’écran!

 

Entre le précédent extrait et celui-ci, on a tourné une centaine de pages, si bien que 10 ans ont passé…

 

(…) Lou est encore loin de cette éventualité, l’adolescente fait sa communion solennelle. Elle est excitée à l’idée que sa vie va changer. Après la messe, elle sera différente, considérée comme une adulte et elle soulève légèrement sa robe pour admirer encore une fois sa paire de jolis bas. Sa mère les a achetés exprès pour l’occasion, la sermonnant bien qu’il fallait qu’ils durent. Sous ses voiles et ses dentelles, elle a chaud car ils sont arrivés bien trop tôt et la place de l’église est encore déserte, mis à part quelques chiens galeux qui courent après une chienne en chaleur. Seul le bistro est ouvert, et Grand-père Choupette s’y est immédiatement dirigé, n’ayant besoin de la permission de personne. Mathilde râle parce que Jub s’accroche à son corsage en pleurant.

─  Zut alors ! J’ai pas eu l’temps d’lui donner c’matin. Tant qu’il aura pas, il va m’casser les pieds…

─  T’as qu’à l’emmener plus loin, du côté d’la fontaine ; lui répond laconiquement Alphonse en regardant le giron de sa femme qui gonfle et palpite.

─  Ça va pas ! Tu veux qu’tout l’monde me voie ?

─  Ben alors au bistro. Le patron il sait c’que c’est, avec ses douze gosses. Il t’laissera bien monter là-haut, tu vas voir, sa femme elle est gentille. C’est Huguette, tu t’rappelles d’Huguette ? celle qui a le pied bot.

─  Mais j’la connais à peine moi ; répond Mathilde en se souvenant néanmoins avoir forcé la petite infirme à manger des chardons une trentaine d’années plus tôt. J’vais rester ici et attendre, quand il aura compris, il s’calmera bien.

Mais Jub, contrairement aux espérances de sa mère, gigote de plus belle, il hurle d’une voix de crécelle et Mathilde finit par accepter l’invitation de son mari pour aller donner le sein à son fils.

─ Rose, Manon, Lili, vous v’nez avec nous. Comme ça, on caus’ra pas si les gens nous voyent rentrer là-dedans en famille. Et vous, les grands, vous v’nez nous prévenir si ça commence.

Pendant quelques minutes, Zaza, Lou et Nico se tiennent bien droits au milieu de la place. Un sifflement aigu leur fait tourner la tête. C’est Jacques, le fils du maréchal-ferrant, caché derrière un arbre.

─  Psst ! Zaza ! Hé ! Zaza !

─  Qu’est-ce qu’il te veut ? questionne Lou. Pourquoi qu’il parle tout bas comme ça ?

Zaza, se tenant raide comme un piquet, fait la sourde oreille. Le jeune homme insiste et elle tourne la tête dans sa direction :

─  Dégage ! lui lance-t-elle d’une voix sourde, et à l’intention de sa sœur : J’te préviens toi, si tu débines quelque chose aux parents, j’te jure qu’ça ira mal !

─  Pourquoi ? insiste Lou. Qu’est-ce t’as fait ? Et pourquoi qu’il s’cache comme ça ?

─  Pff ! Ma pauvre, s’que tu peux être gourde ! T’as qu’à d’mander à Fernand le Bègue, il s’ra bien content d’te répondre…

Lou prend un air pincé, elle fusille Zaza du regard, pensant que, quand même, elle pourrait avoir plus de considération aujourd’hui pour elle. C’est sa communion après tout ! Devinant les cheveux qui se hérissent sous la couronne de sa sœur, l’aînée lui siffle dans l’oreille :

─  Tu crois que j’l’ai pas surpris qui tourne autour de toi ? Le pauvre, il a pas vu tes yeux d’vache et tes lèvres en revers de pot d’chambre ! Déjà qu’il arrive pas à en placer une. En tout cas, fais bien attention qu’il t’embrasse pas, tu tomberais enceinte !

─  Arrête de l’embêter Zaza ! intervient Nico. C’est pas vrai Lou, la crois pas, elle dit qu’des conneries. Mais bon sang, c’que c’est long, j’en ai marre moi, pas vous ? Y’en a encore au moins pour une heure.

─  Oui mais qu’est-ce qu’on pourrait faire en attendant ? demande Lou en parlant les lèvres rentrées afin qu’elles paraissent moins grosses.

─  On n’a qu’à faire un tour en vélo, suggère Zaza, non sans couler un œil perfide vers sa sœur et lui souffler : t’es pas mieux comme ça, on dirait un cul d’poule…

La communiante demeure stoïquement passive et hausse les épaules. Le vélo d’Alphonse est là, appuyé contre le mur du bistro. Il est sacré, personne n’a le droit d’y toucher. Nico et Lou le regardent avec piété comme si le vélo incarnait un être divin.

─  C’que vous êtes bêtes alors ! s’écrie Zaza en se dirigeant vers l’engin et l’enfourchant difficilement tant elle est petite. On risque pas d’vous faire un trou en plus au derrière si on vous prend ! En plus, c’est qu’un emprunt.

Elle remonte sa jupe bien haut, découvrant impudiquement ses dessous, prend appui sur les pédales, et file, le vent sifflant derrière elle.

─  A ton tour ! lance-t-elle à son frère, encore hésitant quand elle revient. Vas-y ! C’que t’es pénible alors ! Y’a personne qui nous voit, un vrai trouillard, voilà c’que t’es !

─  J’vais t’montrer si j’suis un trouillard ! réagit Nico.

Il imite Zaza mais avec moins de difficultés. A quinze ans, il est quasiment de la même taille que l’Oncle Alphonse. Pédalant debout, il s’en va derrière l’église, sur le chemin de Folamour, et revient cinq minutes plus tard, sans se méfier de savoir si les parents sont ressortis du café. Avec Jub, il sait que la mère en a pour un moment : le gros patapouf prend son temps…

─  Vraiment, y’a pas à dire, ça change la vie d’avoir un truc pareil entre les mains ! Tiens Lou, à ton tour !

─  Non, pas moi ; répond l’adolescente. Il fait bien trop chaud…

─  Pff ! ironise Zaza. C’est pas pour ça, j’sais qu’tu sais pas en faire !

─  Mais non, mais j’ai pas envie ; s’énerve Lou, la voix stridente.

─  Mais arrête de mentir, tu sais pas en faire, j’te dis !

─  J’ai pas envie d’abîmer ma robe ! Mais j’sais mieux en faire que toi !

─  Bon allez, on va pas t’en vouloir si tu dis que tu sais pas en faire, coupe Nico, craignant qu’une nouvelle polémique ne s’installe entre ses sœurs, et prenant le vélo pour aller le ranger.

Le ton condescendant de son frère blesse l’orgueil de Lou là où il ne le voudrait pas. Sans réfléchir, elle fonce, lui arrache l’engin des mains et jette :

─  Vous allez voir si j’sais pas en faire ! C’est pas si difficile après tout ! Si des idiots comme vous y arrivent, pourquoi pas moi ?

─  Non Lou, attends ! crie-t-il.

─  Laisse; le retient Zaza. On va s’marrer…

Sa jolie robe blanche l’entrave aux chevilles mais elle ne veut pas la remonter. Elle lâche ses pieds et les pose sur les pédales. Comme Zaza… Et voilà Lou partie comme une flèche, le terrain en pente douce fait le reste.

─  Alors ? Vous voyez qu’je sais ! Oh ! Oh ! Oh !

Le vélo se met à zigzaguer, Lou se cramponne au guidon, elle dévale la pente en prenant de plus en plus de vitesse, et arrête sa course… dans le mur de la sacristie qui l’attendait tout en bas.

─ Merde ! jurent ses deux aînés.

Ils se précipitent et la découvrent dans un état lamentable. La robe que déjà trois générations de filles ont portée n’est plus qu’une loque pleine de terre, l’aumônière s’est arrachée et les bas sont en loques, maculés de sang. Seul le chapelet, offert par Grand-père Choupette, est entier.

─ Aïe aïe aïe ! gémit Lou, pliée en deux, et se tenant le genou droit de ses deux mains encore gantées.

─  Fais voir ! Montre ! glapit sa sœur, essayant de recoller stupidement le plastron, déchiré du col jusqu’à la poitrine et laissant voir la chemise de corps de Lou.

Elle l’oblige à retirer ses mains, retient une exclamation d’horreur et regarde, pétrifiée, le sang couler comme une fontaine et continuer à se répandre sur les gants blancs et la dentelle de Lou.

─  Le vélo ! pleurniche Nico. Regarde, il est fichu !

Le bel engin d’Alphonse, admiré et envié de tous dans le village, n’est plus qu’un tas de ferraille dont les roues sont affreusement tordues. Quelque chose à l’intérieur de leur ventre leur rappelle la date d’aujourd’hui- communion ! communion ! communion ! – et les ramène à l’heure présente.

─  Faut fout’le camp, vite ! Zaza, prend l’vélo, moi j’m’occupe d’elle.

 

Ils sont allés à la rivière, ont nettoyé la blessure de Lou comme ils ont pu. Le sang a continué à couler un peu, surtout quand elle essayait de marcher. Zaza a déchiré son jupon pour lui fabriquer un garrot et le sang s’est enfin arrêté. Ils ont jeté le vélo dans la rivière et l’ont regardé couler comme s’ils assistaient à un enterrement. Puis ils se sont concerté sans rien se dire mais se touchant du regard seulement et ont commencé à parler tous ensemble. Zaza voulait tout prendre sur elle, Nico voulait partir aux Amériques, Lou voulait faire sa communion.  (…)

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