Encre de Chine réalisée en 2004 pour l’illustration de cette histoire

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Vous vous souvenez de cette histoire que j’avais brièvement évoquée, en février dernier ? Je l’avais écrite il y a 15ans, en cinq volumes, chacun de plus ou moins 200pages. L’intrigue se déroule sur plus de 20 ans.  Voici le lien du premier extrait, si vous ne l’aviez pas lu.

Si vous avez le courage de tout lire, merci de mettre un commentaire afin de me donner vos impressions…
 Pour situer le contexte:
Eté 1909. Dans la jolie campagne de Concaillat, un fait divers atroce va bousculer les têtes bien pensantes du pays et changer à jamais le destin d’une famille sans histoires. Ou presque sans histoires. Personne ne dit rien mais tout le monde sait quelque chose. Et si ce n’était pas un accident ?

Si le premier extrait ne manque pas d’un peu d’humour, vous verrez que le second extrait risque de vous faire verser une larme ou deux.

 

Deuxième extrait ( je n’ai pas encore trouvé de titre)

« La nature a mis moins de temps à se remettre de ces inondations catastrophiques que les hommes. Les forêts sont éventrées et le resteront longtemps, les vignes et les champs sont défigurés mais petit à petit, le printemps fait son œuvre et il ne se passe pas un matin sans qu’un cerisier qu’on croyait mort ne se mette à refleurir subitement au milieu de la campagne noircie par les intempéries qui avaient persisté tout l’hiver.

Il en est tout autre dans la maison aux épicéas, où le silence a pris ses quartiers. Eugénie, plus pâle et plus blanche que jamais, a quitté son lit pour accourir au chevet de sa sœur. Elle la veille, lui fait sa toilette, s’occupe du bébé, petite fille sans nom née dans le creux d’un arbre et que sa mère n’a jamais encore regardée.
Nico et Zaza ont gardé le lit deux semaines d’affilée. La mère Bertin vient plusieurs fois par jour, s’occupant de Lili, soignant les enfants à la façon des gens d’ici, avec des prières et des talismans, des cataplasmes à la moutarde et des remèdes que lui soumet la Vieille, rebouteuse à ses heures et éventuellement sorcière quand il s’agit de chasser les mauvais esprits. Personne ne se souvient quand elle est arrivée, ni quel âge elle a. Elle a toujours été vieille, toujours été là, dans sa cabane de branchages au fond de la Haute Forêt, et chacun du village vient la voir en cachette, soit pour soigner une goutte, soit pour obtenir un philtre d’amour, mais jamais de mort : la Vieille ne fait pas ces choses-là.

Et puis Nico et Zaza ont fini par se lever, las des esquarres qui commencent à leur meurtrir la peau, fatigués des bouillons infâmes de la Mère Bertin, effrayés de rester allongés à côté de la demi-morte que devient Lou qui ne se réveille pas de son sommeil attrapé sous l’Arbre aux Pendus.
Quand ils réalisent que Mia ne reviendra jamais et que Lou est en train de franchir la frontière qui la sépare du monde des vivants, ils restent avec leur chagrin dont ils ne savent que faire. Personne ne les regarde, et ils préfèrent cela plutôt que de croiser accidentellement le regard de leur mère. Elle s’arrête un moment sur eux, surprise de l’incongruité de leur présence, les scrute froidement, semblant leur dire :
─  Vous, vous êtes là. Pourquoi ? Pourquoi vous et pas elle ?
Pourtant ils se font minuscules, se sentant coupables, n’osant s’approcher de Lou comme si de la toucher était sacrilège. Ils donneraient n’importe quoi pour que Mia revienne, pour que Lou ne demeure plus tristement dans ce grand lit glacé… Souvent, ils ont une terrible envie de partir, de mourir. Souvent, ils vont se réfugier dans l’étable, se serrent contre les petits veaux sans avoir envie de manger et personne ne se demande où ils sont…
Le père s’en est allé avec l’oncle, et Grand-père Choupette aussi est parti quand eux. Sûrement que leur peine était trop grande pour passer la porte de la maison où plus rien ne vient troubler le silence, mis à part les bruits proches de la basse-cour, les grattements des oiseaux sur le toit, et le sifflement aigu qui s’échappe de la poitrine de leur petite sœur.
Sans se concerter, ils reprennent le chemin de l’école. Tout vaut mieux plutôt que la folie dans laquelle la maison prend plaisir à s’envelopper. C’est ce qui les sauve, cette faculté insensée qu’ont les enfants à vouloir anesthésier leurs souffrances pour ne plus vivre avec. Ils reprennent leurs jeux d’écoliers, se hâtant néanmoins de rentrer après le premier son de cloche annonçant la fin des cours, de peur de trouver le curé et ses sacrements au chevet de Lou. Le maître les laisse partir, les dispensant exceptionnellement du nettoyage du tableau quand vient leur tour.

Ils arrivent essoufflés, rouges d’avoir couru, ouvrent la porte et lancent un regard furtif vers le lit où repose leur sœur. Soulagés, rassurés d’entendre cette respiration saccadée, ils referment la porte, s’en vont aux corvées journalières et ne rentrent qu’après la nuit. Tante Eugénie est partie, la Mère Bertin aussi, il fait noir dans la maison, et sans faire de bruit, ils vont se coucher tout contre Lou. Leur ventre leur rappelle qu’ils n’ont pas mangé, qui s’en soucie ? Demain, ils chiperont un peu de bœuf brasi dans la cheminée, et quelques cerises à l’eau de vie qu’ils siroteront sur le chemin de l’école. Leur mère les verra mais elle ne les punira pas, elle ne dit plus rien. Ils entendent plusieurs fois dans la nuit Grand-mère qui se lève, et se recouche en reniflant.
Grand-mère est partie dans son monde, elle ne voit plus rien autour d’elle. C’est fini, elle ne viendra plus leur raconter des histoires, le soir venu sous la lampe ou leur fredonner de vieilles berceuses de sa voix éraillée. Comment oser même y penser ? Elle traîne les pieds, de la fenêtre aux lits, cherche sous les combles, derrière les meubles, dans la huche à pain, va dans le poulailler, puis dans l’étable, et elle revient en soupirant :
─ Les enfants sont pas rentrés encore … Ils vont prendre froid, ces chenapans…
Zaza et Nico, les premiers temps, quand elle a commencé à divaguer, se plaçaient devant elle, l’attrapaient par sa robe :
─  Mais non, on est là, Grand-mère ! C’est nous, Zaza et Nico. Et Lou aussi est ici, et Lili, et le bébé…
Mais elle gardait les yeux éteints, dans le vide :
─ Les enfants sont pas rentrés encore… Ils vont prendre froid…
Parfois, elle prend le manteau de Mia… le lainage de Lou… Et elle part dans les bois… Un du village la ramène toujours au soir venu, car elle ne va jamais loin. Elle tourne en rond seulement, sa lanterne à la main.
─  Je l’ai croisée sur la route, sont pas là vos parents ? L’prochain coup, c’est un loup ou une bête sauvage qu’elle finira par rencontrer…

Et puis, un jour… Elle les a abandonnés pour de vrai… Personne ne sait où elle est partie. On est allé chercher les frères Cléru, là où ils épongeaient leur tristesse en cuvant leur vin avec le grand-père, dans les grangeons accolés à leurs vignes. On a organisé des battues, on a dragué la rivière, puis on a donné des messes.  »

 

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